Les structures spatio temporelles de la langue, sens et grammaire

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Ma spécificité d’orthophoniste n’est pas d’enseigner la grammaire, tâche attribuée aux enseignants, mais de promouvoir le langage oral et écrit chez ceux, enfants ou adultes,qui pour différentes raisons ont un déficit certain en ce domaine.

De multiples dialogues pédagogiques m’ont appris que ce déficit, s’il comprenait bien sûr un versant lexical, montrait surtout une méconnaissance de ces structures grammaticales qui, à notre insu, donnent sens au langage. La nécessité de recourir à la grammaire dans mon travail m’est donc imposée puisque la grammaire est l’explication des règles qui en régissent les structures. Cependant, j’ai constaté avec bien d’autres que l’apprentissage classique, souvent réduit à une terminologie, se montrait inopérant à réduire les déficits en cause. En effet, le fait de nommer la nature et les fonctions des mots, comme de conjuguer les verbes, n’engendre pas forcément les liens logiques mentaux, inducteurs du sens et de la forme. Peu d’entre nous, au cours de leur scolarité, disent avoir apprécié la grammaire comme moyen clé de leur formation au même titre que les mathématiques, et pourtant !

En raison de sa physiologie et des ses structures mentales, tout homme qui naît a la faculté de tisser des liens avec son environnement. Toute langue qui naît est l’expression de cette capacité confrontée d’abord à la nécessité de survie puis au besoin de donner sens au monde, voire de le transcender.

Il s’agit donc d’entrer dans cette problématique en s’appuyant sur l’hypothèse d’une sorte de logique évolutive qui partirait de la nécessité, puis se développerait dans tout le champ culturel, pour parvenir aux niveaux de langue les plus abstraits.

C’est en suivant cet ordre quasi-ontologique que désormais j’enseigne la grammaire en faisant découvrir la langue comme une histoire qui a évolué sous le poids des besoins. Langue qui implique des structures de sens porteuses des liens logiques : l’analogie pour la nature, l’attribution pour les fonctions, la sériation pour la conjugaison. C’est donc cette histoire qui est présentée ici, en vous demandant de mettre de côté, provisoirement, ce qui vous a été enseigné pour retrouver plus aisément les strates fondatrices de notre compétence linguistique.

 

LA NATURE

Dès que s’inscrirent sur l’écran courbe de sa rétine, les formes et les couleurs du monde, le nouveau-né apprend à extraire de ce continuum perçu les indices pertinents qu’il devra évoquer pour se donner mentalement l’unité et le sens de ce qu’il regarde. Il en fera de même pour les bruits, les odeurs, les saveurs et les touchers, jusqu’à ce que son environnement familier soit référencé en lui. Dans le même le temps,comme il se développe sur le plan psychomoteur, il acquiert toujours plus de possibilités d’exploration.

 

Nommer

Sa première tâche est donc de dénommer le monde qui l’entoure. Il le fait en

interaction avec son entourage qui désigne du doigt et nomme deux types

d’information (réelles ou virtuelles) : les objets qui occupent l’espace, ce qui est, et

des événements qui se déroulent dans la durée du temps, ce qui se passe. Dans la contiguïté de l’opposition, il va tisser des liens entre ce qui lui est à la fois désigné et parlé.

En grammaire cette dichotomie spatio-temporelle est toujours présente. Elle

est présente quand on classe les mots : recherche de leur nature, présente

également quand on étudie les relations entre ces mots : recherche de leurs

fonctions.

Ces mots qui parlent les objets, au sens large du terme, concrets ou abstraits,

s’appellent les noms et sont évoqués verbalement ou visuellement dans une

simultanéité mentale. - enfant, chien, cube - liberté…

Les mots qui parlent les événements, les procès, pour utiliser un terme grammatical, sont les verbes - chanter, être… ils nous imposent un traitement mental dans la successivité, parce qu’ils racontent l’événement dans son déroulement.

 

 

Caractériser

Cependant,lorsque les objets portant le même nom présentent des

caractéristiques différentes, il faut recourir à une autre catégorie de mots pour

nommer ces objets : les adjectifs qualificatifs tiennent ce rôle. Ils vont donc nommer une ce ces caractéristiques qui n’a d’existence qu’inséparable du nom auquel elle se rapporte. Ce faisant ils singularisent les objets dans leur multiplicité - poisson rouge, poisson vert,poisson bleu…

Ce même principe se retrouve pour nommer les caractéristiques du verbe

avec les adverbes dont le rôle principal est de préciser le procès - écrire bien ; écrire mal,ne pas écrire.

Les adverbes peuvent aussi modifier un adjectif qualificatif ou un autre adverbe -

être très grand, chanter for bien.

Les quatre catégories de mots étudiés jusqu'à présent nomment. Elles

nomment respectivement pour le nom et le verbe des objets et des procès, pour

l’adjectif qualificatif et l’adverbe des caractéristiques de ces mêmes objets et procès.

En nommant je ne me contente pas de signifier le réel ou le virtuel, j’ai aussi la

possibilité de signaler la distance que je veux mettre entre ces dont je parle et moi

même - un être vivant, un homme, un enseignant, Pierre Grandet, Pierre, Pierrot.

Le choix de tel ou tel mot signe le degré d’intimité que le locuteur désire mettre en

évidence ou encore la subjectivité de sa relation à l’objet comme au procès

- une grande maison – une maison monstrueuse, il joue au piano- il pianote

Le lexique est toujours en expansion parce que la nécessité lui impose de s’adapter

aux nouveautés du monde

 

Informer

Face à cette luxuriance, les déterminants et les pronoms paraissent tenir un

rôle bien modeste. En fait, ce rôle est surtout fort différent car avec eux nous quittons

la dénomination au profit de l’information. Mais que nous apprennent-ils donc ?

Premièrement, ils informent sur la nature des mots qu’ils accompagnent. Ainsi le déterminant est chargé de signifier que le mot suivant est à verser à l’espace : c’est un nom. La marche, alors que le pronom inscrit dans le temps le mot qui l’accompagne :

c’est un verbe - il marche.

Cette capacité nous autorise même à transformer en nom certains mots simplement en les faisant précéder d’un déterminant - lever,-> le lever- savoir-

>le savoir…. Le processus est valable pour les pronoms.

- une plante->je plante, un schtroumpf->je schtroumpf

Deuxièmement, de manière plus classique, les déterminants indiquent le genre et le nombre de l’objet ; les pronoms, qui remplacent un nom, un verbe, une proposition etc, jouent aussi ce rôle, avec une réserve pour le genre, car seul est signifié le genre des pronoms à la 3ème personne singulier, pluriel.

Troisièmement, il impliquent l’émetteur dans sa relation à l’objet ou au procès. Dire-« un chien » signifie le manque d’information du locuteur sur ce chien. Dire-« le/mon/ce chien » met en évidence le rapport que le locuteur veut signifier entre lui et ce chien.

Le même processus se retrouve dans la relation pronom-verbe : l’émetteur nomme non seulement l’acteur du procès mais aussi sa position personnelle vis à vis de cet acteur. Dans une phrase banale comme - il joue - nous trouvons certes l’information sur la personne qui agit le procès mais aussi que le narrateur n’est nullement en relation directe avec cette personne – ce qui serait pas le cas si le sujet était je, tu/nous et vous, le mien/le tien, celui-ci, le premier… il y a de quoi s’étonner de constater comme ces mots appelés avec condescendance « petits mots », donnent à la personne le moyens de signaler sa relation au monde.

 

Relier

Nous nous retrouvons maintenant avec ces deux groupes de mots

symétriques dont l’un s’inscrit dans l’espace : le nom entouré du déterminant et de l’adjectif qualificatif, et l’autre dans la durée du temps : le verbe entouré du pronom et de l’adverbe. Cependant relativisons cette dichotomie puisqu’elle se retrouve à l’intérieur même de chaque catégorie grammaticale. La langue est un système qui me donne pouvoir de signifier l’objet dans sa temporalité : le coulage d’un bronze, un feu clignotant, comme le procès dans sa spatialité : être ravi, se retrouver ici…

Quoiqu’il en soit, l’effet du déterminant et de l’adjectif qualificatif sur le nom est

identique à l’effet que produisent le pronom et l’adverbe sur le verbe. Nous

constatons qu’en français, ces trois mots associés produisent une unité de sens

d’objet ou de procès. Si en perception le signifiant est triple, en évocation le signifié est unique : - le petit chat, elle mange peu.

Trois mots signifiants imposent un signifié unique soit de chat, soit d’une personne qui mange. Il suffit que ces mots soient posés les uns à côté des autres pour qu’un lien fusionnel s’opère mentalement. La langue sépare obligatoirement tandis que l’évocation rassemble. Ce phénomène sera étudié avec la fonction qui traite du lien entre les mots, mais il est déjà utile d’en signaler l’importance tant il participe du processus de compréhension.

Mais lorsque je sors des structures fondamentales et que je dois signifier un

lien autre qui ne se fait pas automatiquement, je recours aux prépositions et aux

conjonctions. Pour signifier le lien entre le petit chat et la mère Michel, je vais dire - le petit chat de la Mère Michel. Pour signifier le lien entre : je comprends et il a travaillé, je dis-je comprends qu’il a travaillé.

Les prépositions ont pour tâche de positionner les objets dans l’espace alors que les conjonctions ordonnent les procès dans le temps. Mais là encore cette

dichotomie est souvent battue en brèche en fonction du contexte : je roule vers Paris, une robe rouge et blanche. Si la proposition vers porte du mouvement la conjonction et juxtapose deux couleurs sans rien ordonner comme elle le ferait dans - je sors du bain et je m’essuie.

 

Ce recensement des huit catégories grammaticales essentielles s’est

développé dans la perspective d’identifier leur nature pour mettre en évidence les

processus mentaux qu’elles impliquent. Un sujet compétent n’a pas conscience de nouer tous ces liens parce que sa grande expérience de la langue lui permet de traiter le message simplement par analogie. Mais quand la compréhension ne s’établit pas spontanément, sans qu’il s’agisse d’un problème lexical, il est nécessaire d’amener à la conscience le rôle joué par ces catégories grammaticales pour que leurs effets puissent se développer. Malgré tout, ce travail n’est pas suffisant puisqu’il faut encore régler la combinaison des mots au sein de la phrase,

ceci concerne les fonctions et l’ordonnancement des procès par la conjugaison.

 

LES FONCTIONS

La phrase organise des mots entre eux, et nous la comprenons quand,

mentalement, nous mettons en mouvement des processus d’attribution en respectant un ordre logique, autrement dit, quand nous établissons des liens entre les mots de la phrase. En grammaire les liens ainsi établis sont désignés par les fonctions.

Nous allons en conséquence, nous préoccuper des relations tissées par le

verbe, le nom/le pronom, l’adjectif qualificatif, l’adverbe, avec les mots voisins.

Revenons donc à la phrase élémentaire. Celle-ci se décline obligatoirement de deux manières : soit elle exprime une action, soit elle exprime un état. Les deux se déroulent dans la durée du temps mais la première exprime plus de temporalité que la seconde selon les structures suivantes

Sujet - verbe d’action - objet

et

Sujet - verbe d’état - attribut

Ne revenons pas sur les définitions classiques des fonctions puisque nous

recherchons avant tout, les processus mentaux qu’elles génèrent.

 

Ainsi nous voyons que le mot sujet, en donnant vie au verbe, provoque

mentalement son union avec lui comme cela a été expliqué plus haut. Cette fusion du verbe au sujet doit être impérativement agie mentalement pour être généralisable aux cas plus délicats des sujets inversés, éloignés du verbe

Les mots attributs subissent la même attraction de la part du sujet, alors qu’au

contraire les mots compléments d’objet (direct ou indirect) marquent une dissociation entre le sujet et l’objet même lorsque celui-ci est une partie du sujet Luc touche son nez.

Par contre, l’objet participe du verbe : il le complète.

Papa s’appelle Marc : (une seule personne : Papa)

Marc attribut du sujet Papa

Papa appelle Marc : (deux personnes : Papa et Marc)

Marc COD du verbe appeler

 

Pour récapituler : le sujet fusionne avec le procès comme l’attribut fusionne avec le sujet. L’objet, lui, conserve son indépendance par rapport au sujet mais s’ajoute au procès en le complétant.

Avec des évocations visuelles, les liens logiques d’attribution sont facilement intégrés ; ils se découvrent à partir de la question : à qui je donne ? et s’observent sur l’écran mental de celui qui gère dans l’espace.

Avec des évocations auditives, ces attributions s’effectuent dans une démarche ordonnée de sériation : d’abord trouver le verbe, le questionner pour trouver le sujet de l’objet. La compréhension s’effectue par l’enchaînement des relations autour du verbe, en raison de la nécessité pour une telle méthodologie de s’inscrire dans le temps.

Si l’information brute concernant un événement se suffit des deux phrases

fondamentales que nous venons de voir, nous avons cependant toute possibilité de les enrichir. Les informations supplémentaires ainsi greffées développent de

nouveaux liens identifiés par ces fonctions dont il va être question à présent.

 

Ainsi pour enrichir la phrase ou le verbe, nous disposons des compléments

circonstanciels.Ils sont là pour signifier ce qui se tient autour : circum stare.

Aussi permettent-ils d’inclure l’information donnée par la phrase- noyau, dans le cadre d’éventuelles circonstances.

Soit la phrase-noyau - les enfants jouaient - et l’enrichissement de cette phrase - ce matin, les enfants jouaient paisiblement dans leur chambre.

Les trois circonstances inscrivent - les enfants jouaient - dans un espace mental élargi. Le concept serait à affiner, mais les limites de cet article ne le permettent pas…

Le phénomène d’enrichissement touche aussi le nom, le pronom, l’adjectif

qualificatif et l’adverbe. C’est un vrai jeu de poupées gigognes qui s’emboîtent les unes dans les autres pour donner toujours plus de sens. Ce processus implique d’évoquer, en permanence, les relations de la partie au tout et non pas de se contenter de nommer une fonction hors du lien qui la justifie.

 

Le nom, lui-même sujet ou objet, se complètera d’un adjectif qualificatif qui,

fusionnant avec lui, deviendra épithète - des amis canadiens -, ou apposition - le corbeau, honteux et confus… Cette fusion peut aussi s’effectuer avec un autre nom - la ville de Québec - Québec et la ville sont une seule entité. Par contre pour - les rues de Québec - qui ne sont qu’une partie de Québec, nous avons une inclusion, donc un complément de nom. La similitude de construction prête à confusion, mais pas les évoqués de sens.

Toutefois, on peut ne pas généraliser le mécanisme d’inclusion, donc un complément du nom car d’autres cas entraînent une simple addition - la poupée de Marie - ou une intersection, une exclusion à l’appréciation de chacun - une allée d’arbres - Certains, en effet, penseront les arbres en intersection de l’allée , d’autres en exclusion.. Le nom se complète aussi d’une proposition subordonnée relative qui vient « relater » le nom en lui apportant de surcroît la temporalité liée au verbe de la subordonnée.

Le lien mental entre l’antécédent et la relative variera en fonction du pronom relatif utilisé.

 

Voyons maintenant après l’enrichissement du verbe et du nom, celui de

l’adjectif qualificatif et de l’adverbe. Ceux-ci s’étoffent de la même manière ; ils

peuvent être modifiés par un adverbe : - trop petit, assez rapidement - et prolongés par un complément - vert de rage, peu d’entre nous. Les liens ainsi créés ne sont toujours aussi évidents que dans ce deuxième exemple qui nous impose simplement de saisir l’inclusion du « peu » au tout « d’entre nous ». Par contre, si dans « vert de rage » il y a l’attribution classique de la rage au vert, on doit y voir de plus en plus une relation de causalité, puisqu’il faut être en « rage » pour devenir « vert »…

 

Prenons la phrase d’Anatole France : Au matin, il vit des ibis immobiles sur une patte au bord de l’eau qui réfléchissait leur cou pâle et rose.

La phrase-noyau qui parle de l’essentiel « il vit les ibis » est enrichie du

complément circonstanciel « au matin » qui positionne l’événement dans le temps de la journée. L’objet « les ibis » va être à son tour enrichi d’un adjectif qualificatif épithète « immobiles » qui va fusionner avec lui. L’enrichissement « sur une patte » sera un complément du nom si on le rattache aux ibis, mais certains le lient à « immobiles » auquel cas il sera complément de l’adjectif « immobiles ». Les deux solutions sont possibles par contre, en aucun cas je ne peux le désigner comme complément circonstanciel car ce n’est ni le verbe ni l’événement signifié qui se trouvent une patte. « Au bord de l’eau » est aussi à donner aux « ibis » comme «de l’eau » s’accroche au «bord » ce sont des compléments du nom. La proposition subordonnée relative « qui réfléchissait leur cou pâle et rose » vient raconter, relater, l’antécédent « eau » et non « les ibis », mais l’accord est là pour en témoigner. Dernière étape : « pâle et rose » viennent fusionner avec le nom « cou ». Un schéma rend évident l’emboîtement des constituants de la phrase et permet la saisie de la structure, facilitant pour un grand nombre, quelles que soient leurs habitudes évocatrices, l’accès au sens et le passage à l’écrit.

 

Cette présentation des fonctions peut paraître fort complexe et même inutile à ceux qui jonglent avec les concepts grammaticaux. Pourtant, le nombre

impressionnant d’élèves qui dévoilent leur incompétence grammaticale dans des écrits fort éloignés du bon usage de la langue, montre que les explications classiques n’atteignent plus leur but. La démarche qui vient d’être exposée ne s’est pas fixée sur les mots grammaticaux, mais sur des processus de pensée qui peuvent être conscientisés par l’intermédiaire de dialogues pédagogiques. Quand l’élève a reconnu ses processus, il éprouve la nécessité de connaître la grammaire. Nous sommes bien là dans une pédagogie structurée par la Gestion mentale.

 

LA CONJUGAISON

Un dernier sujet reste à traiter avec la conjugaison. Dans cet article, il n’est

pas question, faute de temps, de revoir l’ensemble des informations que donne un

verbe conjugué. Nous allons seulement les énumérer pour nous arrêter sur deux

points essentiels, l’époque et l’aspect qui permettent d’ordonner les événements les uns par rapport aux autres.

Le verbe conjugué nomme le procès, indique la personne qui agit ou subit le

procès, signale, par le mode, la probabilité pour que le procès, réel ou pensé, se

réalise ou se soit réalisé, situe le procès dans son époque et le moment du procès

dont on parle, enfin par l’intermédiaire de la voix passive ou active, donne le point de vue du locuteur.

Si les noms nous libèrent de la matière , les verbes conjugués,

particulièrement au mode indicatif, nous libèrent de la durée et de la chronologie. En effet, l’ordre de l’énoncé ne suit par forcément la chronologie du réel car nous

disposons d’un système de conjugaison qui nous permet de réaliser de véritables

perspectives temporelles. Ce qui n’est pas le fait de toutes les langues.

En français, cette perspective temporelle s’organise autour du présent de

l’indicatif et pourtant le réel du présent ne peut pas être évoqué puisqu’il tombe

aussitôt dans le passé. Or nous pensons bel et bien ce présent, mais comme une construction mentale qui s’organise toujours, selon le linguiste Guillaume et son élève madame Sadek-Khalil, autour de trois références essentielles : moi, ici, maintenant.

Et c’est à partir de l’évocation de ce présent que le partage entre passé et futur se réalise. La ligne du temps ainsi définie, se structure spatialement pour la plupart d’entre nous y compris pour bon nombre d’auditifs et ne recouvre pas forcément la représentation scolaire linéaire habituelle

 

Nous n’avons pas seulement la possibilité de signifier les événements dans le

passé, le présent ou le futur, mais encore de spécifier tel ou tel moment de leur

réalisation. Pour comprendre la notion d’aspect à l’oeuvre dans ce cas, il est

nécessaire de se décentrer par rapport au présent, moi, ici et maintenant, c’est à dire pouvoir mentalement se projeter dans le passé ou le futur pour observer le degré d’accomplissement.

 

Ainsi, si je comprends - la neige tombait, il ne s’agit pas seulement, avec le choix de l’imparfait, de penser ce fait dans le passé, mais d’être conscient que ce temps

m’impose l’idée d’un déroulement alors qu’un passé simple l’annulerait.

Le sens plein de verbes conjugués dépend de la compréhension implicite, acquise

pendant l’enfance, des notions d’époque et d’aspect. C’est un phénomène naturel

qui reste pourtant inaccessible à certains. Heureusement, l’école peut-être leur salut à condition qu’elle sorte des restitutions formelles pour confronter l’élève à ces vécus mentaux de sens.

 

Nous avons cinq temps du passé qui se subdivisent en temps simples avec

l’imparfait et le passé simple,et en temps composés avec le passé composé, le Plus-que- parfait, et le passé antérieur. Chacun de ces temps tien un rôle spécifique qui s’appréhende dans l’interaction avec les autres temps.

 

Le passé composé, comme tous les temps composés, organise la sériation

des procès en lien avec le présent et le futur. Il raconte aussi la fin du processus.

Quand je dis - la neige est tombée, je n’évoque pas la neige en train de tomber, mais la neige déjà tombée. Je constate un résultat. C’est la raison pour laquelle le passé composé, temps du passé, reste proche du présent, ce dont témoigne sa forme. Il s’oppose au passé simple qui lui, marque la rupture avec le présent. Les deux exemples qui suivent expriment cette différence.

 

Michèle a découvert un pays magnifique

En 1531, Jacques Cartier découvrit « La Nouvelle France »

 

L’imparfait,qui est le temps du déroulement, soit dans la durée, soit dans la

répétition, énonce un fait postérieur à ceux, toujours achevés, exprimés au plus-que parfait ou à un autre temps composé.

Passé simple et passé antérieur s’allient de la même manière pour marquer

l’antériorité du second par rapport au premier. Le passé simple abstrait le

déroulement et pour le comprendre, il suffit de l’opposer à l’imparfait.

Le chat grimpait, le chat grimpa

C’est pour cette raison que ce temps dénomme des actions ponctuelles s’inscrivant dans un cadre exprimé à l’imparfait.

 

Il ouvrit les yeux, le soleil se levait.

 

Passons aux quatre temps du futur, le futur proche, le futur antérieur, le futur

simple et dans certains cas le conditionnel présent.

Le futur proche, souvent utilisé à l’oral, marque sa grande proximité avec le

présent, créant ainsi une nuance par rapport au futur simple : je vais venir n’est-il pas plus sûr que je viendrai ?

Le futur antérieur, postérieur au présent, situe une action comme étant

terminée par rapport à une autre, futur simple, qui va se dérouler.

 

Quand tu arriveras, j’aurai fini mes devoirs

 

Le conditionnel présent joue le même rôle qu’un futur simple mais il en

accentue le caractère hypothétique.

 

Si tu arrives avant midi, nous irons au restaurant.

Si tu arrivais avant midi, nous irions au restaurant.

 

Remarquons que l’imparfait du deuxième exemple relève du futur…

La langue est un système ouvert qui se laisse rarement enfermer dans les

dogmes, mais restons-en là, nous ne pouvons pas, en moins de dix pages, revisiter toute la grammaire française… il est temps de conclure !

 

Nous qui pratiquons notre langue dans la fulgurance de nos intuitions, nous

avons oublié le temps passé à construire toutes ces relations, oublié nos

tâtonnement,voire nos contresens. Notre difficulté à nous mettre à la portée des enfants ne vient-elle pas de cet oubli ? N’est-ce pas aussi pour cette raison que les apprentissages scolaires ont ce caractère formel qui d’évidence nous paraît « sensé » ? Pourtant, nous savons qu’ils sont en rupture de sens pour un grand nombre, or rien ne peut se construire sur un hiatus ! Face à cette situation,

l’introspection offre un cadre pertinent pour rechercher avec l’enfant ce qui va faire sens à ses yeux.

Insistons donc l’intérêt d’amener les élèves à la grammaire à partir de la

conscience qu’ils peuvent avoir des processus mentaux inhérents à la langue. Il s’agit de s’appuyer sur leur compétences linguistique (quelle qu’elle soit) pour qu’ils inscrivent leurs apprentissages dans le réel de leur vie mentale. Alors ils pourront se donner « les moyens de leur réussite » et vivre harmonieusement leur langue.