Les grands principes de la gestion mentale.

C.Delmas

 ANTOINE DE LA GARANDERIE

 

La GESTION MENTALE est l’exploration, la description et l’étude des processus de la pensée consciente lors d’une prise d’information, de son traitement et de sa restitution.

 

 

Son créateur, Antoine De La GARANDERIE est né en 1920 .Il a été philosophe et enseignant pendant de nombreuses années dans des établissements importants de la région  parisienne et directeur de recherches à Angers. Il a longtemps interrogé ses élèves performants sur les stratégies mentales qu’ils mettaient en œuvre pour réussir. Son hypothèse était que les lois du « bon » fonctionnement cognitif devaient exister et que « l’introspection cognitive » qu’il faisait pratiquer à ses élèves, lui permettrait de les formuler. Il a aussi interrogé des sportifs, des artistes, des intellectuels, pour clarifier le concept de « gestes mentaux ». Son objectif fut ensuite de les enseigner à ceux qui, ne réussissant pas, les ignoraient probablement. 

C’est cet important travail qui a donné le jour à la pédagogie des gestes mentaux. Ses analyses, ses explications s’adressent à tous, et particulièrement à nous orthophonistes.  Il nous fait découvrir comment nous opérons, comment font nos patients pour percevoir, évoquer, mémoriser, comprendre, réfléchir, créer.

 

Le terme de GESTION MENTALE renvoie à des « gestes ». Par exemple, on peut comparer ce qui se passe dans le monde mental à ce qui se passe pour quelqu’un qui apprend à nager : quand on apprend à nager, on doit remuer ses bras et ses jambes pour se maintenir dans l’eau et se déplacer jusqu’à l’endroit où l’on veut aller.

De même, quand on veut faire acte d’attention ou de mémorisation, on veut arriver à un certain but et l’on doit se maintenir d’une certaine façon dans son monde mental. Pour faire attention, pour mémoriser ou comprendre, on a un certain nombre de gestes à faire qu’il faut apprendre. Apprend-on à nager à quelqu’un en le jetant à l’eau, sans rien lui expliquer ? Non, bien sûr. Il en est de même pour le travail mental. On peut en tirer des conséquences pour nous ou pour les personnes que nous aidons. 

Prenons un exemple : le logo de Coca-cola :

Vous l’avez tous vu d’innombrables fois, mais seriez-vous pour autant capables de le dessiner ? Prenez une minute pour essayer…Maintenant, regardez-le…Sans doute bien peu d’entre vous ont réussi à le reproduire exactement, car en regardant ce logo auparavant, vous ne vous étiez pas donné à vous-même le projet de revoir exactement ce logo, ou de vous en décrire les particularités.

C’est cela, le « GESTE MENTAL » : on a 

D’abord un projet

Ensuite on s’est donné dans la tête en images ou en mots ce que l’on va faire.  C’est ce que l’on appelle l’évocation : évoquer la situation grâce à ces images ou à ce discours qui nous permettent de la réaliser. 

Ces deux notions : Projet et Evocation sont essentiels dans la vie mentale et tout ce que nous pourrons dire sur les gestes mentaux comprendra toujours un projet et des évocations

 

 

 

 

 

 

L’évocation :

 

Pour connaître, il est indispensable de faire exister dans sa tête ce que l’on regarde, touche, entend, sent, goûte, par nos cinq sens.

Prenons un exemple :

Cette image, sans  doute  vous la voyez, mais  existe-t-elle pour autant dans votre tête ? Qu’allez –vous faire pour l’y mettre ? Si vous exécutez le projet de la voir ou de la parler dans votre tête une fois qu’elle est cachée, vous faites exister cette image.

Vous êtes alors dans une situation de  connaissance, c’est-à-dire dans un rapport à un objet qui est extérieur à vous, mais qui devient intérieur à vous, soit en le revoyant, soit en vous le parlant.

Nous percevons avec nos sens.

Certains sujets se servent plus des images que leurs yeux leur procurent, d’autres plus des sons que leurs oreilles entendent.

 

De même, très jeunes, les enfants prennent l’habitude d’évoquer mentalement davantage les images ou davantage les sons, les mots, se construisant ce que nous appelons une langue évocative, habitude de pensée qui leur est fondamentale.

Cela ne veut pas dire qu’ils resteront enfermés dans cette habitude, car il y a des possibilités d’ouverture sur des moyens différents. Mais il résulte de cette habitude prise, de cette langue pédagogique, des conséquences et des différences importantes dans le développement mental.

 

Il est à noter que la nature de la perception n’induit pas la nature de l’évocation : une perception visuelle peut s’évoquer en mots ou inversement, une perception auditive peut s’évoquer en images.

 

Nous distinguerons donc les sujets à tendance évocative majoritairement visuelle, d’autres plus auditive (ils réentendent) ou verbale (ils se re-disent), d’autres encore, plus kinesthésique (ils évoquent le geste ou le mouvement). Il y a souvent mixité évocative, chez les sujets n’ayant pas de difficulté  particulière.

 

L’évocation, comme outil de pensée, joue un rôle fondamental car, grâce à elle, le sujet rend mentalement présent le monde qui l’entoure.

Toute évocation est une construction mentale des objets de perception sans lien direct avec les organes des sens. Elles sont personnelles au sujet, peuvent être fixes ou mobiles, concrètes ou abstraites ; selon la situation, les sujets utilisent l’un ou l’autre, voire plusieurs types d’évoqués, qui peuvent différer non seulement par leur nature, comme nous venons de le dire, mais aussi par leurs contenus.

Les paramètres :

 

En Gestion Mentale, nous classons les contenus des évocations dans 4 domaines différents. 

Nous allons donner l’exemple du mot « hémicycle » qui étant entendu ou lu, va être évoqué de quatre façons possibles :

 

Certains vont voir un hémicycle ou entendre la rumeur de l’hémicycle : c’est le paramètre 1.

D’autres vont voir le mot écrit, ou se l’épeler : c’est le paramètre 2.

D’autres encore vont utiliser le lien étymologique pour comprendre ce mot : c’est le paramètre3.

Enfin quelques-uns s’inventeront une image inédite ou s’inventeront une histoire à propos d’un hémicycle : c’est le paramètre 4.

 

L’idéal serait que nous puissions tous naviguer d’un paramètre à l’autre avec aisance. Les difficultés commencent lorsque nous privilégions un ou deux paramètres en laissant tomber systématiquement les autres, et plus encore si nous évoquons le perçu exclusivement dans un seul paramètre. Toute pédagogie devrait entraîner le passage d’un paramètre à l’autre car certains paramètres sont plus efficaces pour réussir une tâche donnée.

 

Les Gestes mentaux

 

Nous avons vu tout à l’heure, avec l’exemple du logo Coca-Cola, l’importance d’avoir consciemment un projet précis pour guider notre prise d’information quand nous percevons quelque chose, que ce soit vu ou entendu.

Le premier des gestes mentaux, celui qui est à la base de tous les autres, est

le geste d’attention : son projet est à exprimer clairement, explicitement, aux enfants ( trop d’enfants sont taxés de difficultés attentionnelles mais leur a-t-on toujours donné le mode d’emploi ?)

« Tu vas regarder (ou écouter) ce que je vais te montrer (ou te dire) pour le revoir (ou te le redire, le réentendre) dans ta tête une fois caché ». Le geste d’attention, comme nous l’avons vu avec l’exemple du verre, se prépare en énonçant la mise en projet d’évoquer quelque chose, évocation volontaire, dirigée et non aléatoire ou vagabonde.

 

Le geste de mémorisation commence lui aussi par une mise en projet, qui est la même que celle du geste d’attention, mais avec une projection de cette évocation dans un imaginaire d’avenir : «  je vais revoir (réentendre, me redire) pour m’en servir dans telles circonstances, telle situation… » Sans cette anticipation imaginée de la situation de restitution (qui ne doit pas être restreinte à l’avenir immédiat comme pour ces enfants qui récitent le soir à leur mère et le lendemain n’ont rien gardé…), la mémorisation ne se fera pas. Elle nécessite également, comme l’ont montré des études américaines, des réitérations successives à des moments espacés dans le temps. Mais la Gestion mentale insiste sur la projection dans le futur de ce que l’on évoque pour pouvoir le conserver-- ce que les personnes âgées trop tournées vers le passé ont du mal à faire. Les personnes qui retiennent les histoires drôles, au moment où elles écoutent l’histoire, sont déjà en projet de faire rire leurs amis plus tard en les leur racontant.

 

Le geste de compréhension, lui aussi, s’explicite et s’apprend : pour comprendre il faut bien sûr évoquer, mais avec le projet de faire un tri dans le perçu, pour évoquer des indices pertinents et rechercher entre eux des liens logiques :comparer ces indices pour remarquer des ressemblances ou des différences, les ordonner dans le temps et dans l’espace, établir des relations d’appartenance entre eux (inclusion, fusion, union, intersection, etc).

 

 Le projet de sens de la compréhension peut être pour certains de savoir appliquer, pour d’autres de savoir expliquer.

 

La recherche de liens logiques se fait bien sûr en évocation et bien souvent le geste de compréhension est mêlé au geste de réflexion : Quand on dit : « mais réfléchis ! » cela veut dire : « rappelle-toi de ce que tu as déjà appris ». C’est un retour sur ses acquis, un rappel volontaire d’éléments existant dans notre bibliothèque mentale et qui vont nous aider à faire les liens logiques nécessaires à la compréhension.

 

Enfin le geste d’imagination,  qui n’est pas le moindre mais dont la part dans les apprentissages est trop souvent minorée : avoir une imagination débordante est perçu plus comme un défaut que comme une qualité… Mais le geste d’imagination n’est ni un don du ciel, ni une rêverie vagabonde et perturbante dans la réussite d’une tâche : il est volonté consciente d’évoquer des liens nouveaux, inédits. Certains sujets sont davantage en reproduction, d’autres en transformation. La créativité imaginative peut être celle de la découverte, c’est-à-dire découvrir dans ce qui existe déjà des signes cachés (comme Newton, Einstein, Pasteur ou Freud). Elle peut être aussi celle de l’invention, qui trouve, à partir de l’observation du monde, des objets utiles à l’homme : le téléphone, la machine à vapeur etc. Les structures de projet de sens du découvreur et de l’inventeur sont différentes, mais nous avons tout intérêt à amener les enfants à exercer leur créativité dans tous les apprentissages ainsi que dans la vie.

L’Espace et le Temps :

 

« Toute pensée doit s’inscrire dans l’espace ou dans le temps » (Kant)

 

Il y a des sujets qui pour comprendre ont besoin de se donner un espace pour faire vivre les choses. D’autres au contraire se donnent plutôt un itinéraire : D’abord …Ensuite…Enfin… Ceux qui font entrer dans leur globalité des choses qu’ils y placent, vont organiser leur monde mental dans la simultanéité. Alors qu’un sujet qui procède dans le temps, va organiser sa pensée dans une temporalité, une successivité. Si vous lui proposez l’image globale au départ, ça ne lui dira rien du tout, et inversement si vous voulez faire de la sérialité (premièrement, deuxièmement, troisièmement) avec un sujet qui a besoin de la globalité, il ne verra pas ce que vous voulez dire.

 

Claudie DELMAS