Caroline Tisserand
Selon Antoine de la Garanderie, tout acte de connaissance sous-tend un projet de sens dans lequel nous nous inscrivons.
En fonction de ses expériences premières, l’individu va naturellement s’orienter vers un acte de connaissance en harmonie avec sa personnalité cognitive. Ces tendances de personnalité cognitive ou projets de sens sont profondément intimes et propres à chaque individu. Les plus dominants vont alors déterminer les actes mentaux de chacun.
Il existe 8 paires de projets de sens.
· 1ère Personne/3ième Personne
· Avec les choses/ Auprès des êtres
· Les moyens/La finalité
· Découvreur/Inventeur
· Argumentateur/Problématiser
· Recordman/Compétiteur
· Opposant/Composant
· Expliquant /Appliquant
· Reproducteur/Transformateur
Les projets de sens et le profil pédagogique : certains couples seront plus ou moins proche du centre de l’individu, et d’autres plus en périphérie. Tous les couples de projet de sens vont se manifester dans tous les gestes mentaux de façon plus ou moins prononcée, il faudra faire émerger les projets de sens dominants et faire découvrir au sujet qu’il est possible de rester ouvert à la complémentarité.
Le questionnement sur les projets sens concerneront le « en quoi c’est important pour l’individu ». Il faudra s’intéresser à la forme et non au fond. C’est la manière dont la personne va dire les choses qu’il faudra repérer. Etre attentif aux petits mots comme « j ai douté,… »
Les couples les plus proches de l’individu sont : 1ère /3ième personne, les finalités /les moyens, avec les choses/auprès des êtres, composant/opposant.
Les couples de projets de sens :
· Couple 1ère Personne/3ième Personne : détermine la façon dont l’individu vit sa relation au monde et est présent dans tous les gestes mentaux.
1ère Personne : le sujet se voit, s’entend en train d’agir de faire. Il peut être victime d’émotion précipitante par manque de recul et être amené à transformer sa perception de l’objet en se précipitant sur son point de vue.
Il est Acteur des situations.
Il apprend pour lui et mémorise en vérifiant la permanence de ce qu’il a mis en mémoire.
Il s’intéresse à ce qui vient de lui, plutôt que d’autrui.
Il peut préférer les similitudes aux différences.
1ère Personne associée : le sujet évoque directement sa personne.
Il se parle à la 1ère personne. « Qu’est-ce que j’ai envie de faire, MOI ? ».
1ère Personne dissociée : le sujet se voit comme sur un écran, se donne des ordres « tu fais ça… ».
3ième Personne : se positionne en tant que témoin.
Il peut évoquer la personne qui parle, entendre la voix du prof.
Il prend un modèle et sera plutôt reproducteur que transformateur.
Il peut être victime d’émotion paralysante dans la mesure où le modèle peut inhiber ses propres initiatives. En restant témoin, il risque de prendre l’objet tel qu’il est sans lui faire subir les transformations nécessaires et ne pas se l’approprier.
Il privilégie ce qui ne vient pas de lui.
Il mémorisera correctement sa leçon mais sera gêné dans sa réutilisation dans un contexte original.
Il place ce qu’il apprend à l’extérieur de lui sans plaisir. « Qu’est-ce qu’on attend que je fasse ? »
Il peut préférer la différence.
Questions à poser lors du dialogue pédagogique :
« Aimes-tu transformer les choses pour les comprendre ou les apprendre ?
T’intéresses-tu davantage à ce qui vient de toi ou à ce qui vient des autres ? »
· Couple Appliquant/Expliquant : ce couple sera déterminant dans l’acte de compréhension.
Appliquant : le sujet a besoin d’exemples pour comprendre.
Il aura le sentiment de comprendre lorsqu’il sera capable d’appliquer par lui-même. Il est à la recherche de recettes qu’il pourra appliquer. Ses références sont souvent des exemples. Il a besoin de sentir son pouvoir agir sur le monde pour se comprendre. Il a besoin de faire. Il a un projet de réutilisation des lois et des techniques par des stratégies opératoires efficaces qu’il recherche. Il néglige les explications, les origines, les fondements des choses et aura parfois du mal à argumenter ses applications. Ses connaissances n’ont de sens que dans leurs réutilisations pour résoudre efficacement un problème donné.
Il va de lui au monde ; Il se rend présent aux êtres en se prouvant qu’il est capable de….
Il cherche une application possible sur le monde.
Expliquant : le sujet a besoin de comprendre la solidité du monde pour se comprendre.
Il amène l’extérieur à sa compréhension. Il a besoin d’explications et a le sentiment de comprendre lorsqu’il peut expliquer ce qu’il a compris. Ses références sont souvent des théories, des lois. Il se place en amont de celles-ci pour les comprendre. Il néglige alors les exercices et les indices lui permettant d’appliquer ces lois et théories. Il oublie même souvent de les apprendre étant sur de pouvoir les retrouver avec ses explications.Il est logique. Il va du monde à lui-même. Il cherche à comprendre la logique du monde.
Questions à poser lors du DP :
« Tu préfères avoir des recettes, des astuces pour faire les choses ou alors préfères savoir comment ça marche, pourquoi c’est comme ça, tu veux avoir des explications ? »
· Le couple reproducteur/transformateur :
Le reproducteur : cherche à reproduire un modèle.
Il va reprendre les mêmes mots. Il est souvent sujet à une émotion paralysante.
Le transformateur : a besoin de traduire. Il est sujet à une émotion précipitante.
Couple Finalité/ Moyens :
Les Finalités : le sujet sera plus intéressé par les résultats que par le cheminement pour y arriver.
Les moyens seront adaptés à la finalité qui est primordiale.
Il recherche les aboutissements ; c’est un découvreur ou inventeur de finalités.
Les Moyens : le sujet porte son intérêt sur les moyens nécessaires mis en œuvre pour atteindre son objectif qui n’est pas une fin en soi.
Il prend plaisir à faire : c’est un découvreur ou inventeur de moyens.
Questions à poser lors du DP:
« Qu’est ce qui te motive dans les activités que tu aimes, c’est l’activité en elle même ou c’est le but de l’activité ? »
· Couple Opposant/Composant :
Opposant : le sujet a besoin de se distinguer.
Il va rechercher les indices contraires aux idées développées.
Il privilégie les différences (dans les liens logiques par analogie). On peut supposer un complexe d’infériorité qui se défendra par « j ai besoin d’être différent pour exister ». A besoin de défendre son originalité.
Composant : le sujet cherche à rester en accord avec son interlocuteur.
Il va rechercher les indices allant dans le sens des idées développées.
Il privilégie les similitudes dans son acte de compréhension. Il n’aime pas le conflit et a besoin de l’estime de l’autre.
Le composant ne veut pas se différencier et peut être animé d’un sentiment de culpabilité.
Il est en quête identitaire à travers les relations aux êtres et aux choses. Il cherche à faire ce qui est semblable à lui-même.
· Couple Découvreur/Inventeur: ce couple sera déterminant dans l’acte d’imagination;
Le découvreur : le sujet cherche ce qui est présent mais caché dans le connu.
Il cherche une vérité cachée. A partir de ce qui est connu, il fera des hypothèses.
Le risque du découvreur est de se satisfaire trop vite de sa compréhension et de sa découverte.
Il place sa compréhension dans le passé. Pour découvrir, il va lister tout ce qu’il connaît déjà de la chose et chercher ce qui lui échappe encore.
Il se place en tant que témoin. Dans l’acte de compréhension, sa réflexion reste centrée sur le texte. Il est curieux de ce qui est là, présent.
Il cherche tous les possibles. Il s’appuie sur ce qu’il sait (sa mémoire) pour découvrir.
Il acte son témoignage.
L’inventeur : sera curieux de ce qui n’existe pas encore et va chercher à faire des prolongements du connu.
Il se place en tant qu’acteur.
Il place sa compréhension dans le futur.
Il ne sera jamais satisfait de sa première compréhension qu’il cherchera à vérifier.
Il sera en attente d’une nouvelle compréhension. Il va balayer tout ce qu’il sait déjà de la chose pour ensuite imaginer ce qu’il pourrait faire de nouveau avec. Il cherche à atteindre l’inédit. L’inventeur fonctionne avec un fort P4.
S’il est très en 1e Pers, il peut passer pour opposant.
Il cherche ce qu’il pourrait combler.
Il prend de la distance avec le texte dans son acte de compréhension.
Il traduit et transforme les choses. Il élimine ce qu’il sait déjà pour chercher ce qui n’a pas encore été fait.
Il témoigne de son action.
Questions à poser lors du DP :
« Tu préfères chercher un secret ou inventer un avion ? »
« Te sens-tu plus attiré lorsqu’il faut découvrir une énigme ou inventer quelque chose de nouveau ? »
· Couple Recordman/Compétiteur :
Le recordman : s’intéresse à battre des records pour lui-même.
Ses réussites marquent les étapes qui lui sont nécessaires à l’itinéraire qu’il s’est fixé pour atteindre de nouvelles performances.
Il vise sa progression par rapport à lui-même et non par rapport à autrui.
Le fait de le mettre en compétition avec d’autres risque de le déstabiliser et de le faire échouer car la pression de la compétition avec les autres ne lui est pas bénéfique.
Il veut y arriver tout seul, repousser ses limites, se prouver ses capacités.
Le compétiteur : cherche à gagner sur autrui.
Il ne donne le meilleur de lui-même que lorsqu’il est en compétition avec d’autres.
Il a besoin de s’appuyer sur les défauts de l’autre pour améliorer ses propres performances.
Il veut y arriver avant les autres. Il reconnaît la faiblesse du monde pour le dépasser.
Il a besoin de prouver ou montrer aux autres.
· Couple Argumentateur/ Problématiseur : ce couple sera déterminant dans l’acte d’attention.
L’Argumentateur : sélectionne tout ce qui va l’aider à argumenter.
Il se réfère à des théories pour argumenter.
Dans le geste de l’attention, il opère une sélection très précise d’indices nécessaires à son argumentation.
Il est à l’aise dans la dissertation, la démonstration d’une loi, il se crée un plan et des blocs d’arguments.
Il peut manquer de souplesse car il peut rester figé sur son argumentaire. Il cherche ce qui peut l’aider à convaincre, justifier, renforcer.
Il est à l’aise dans la démonstration de théorie, la justification d’une loi.
Il ne crée pas de liens nouveaux.
Le problématiseur : va rechercher des liens avec ses propres idées.
Dans le geste d’attention, il va opérer à une sélection d’indices éclectiques plus ou moins structurée en lien avec ses idées. En dissertation, le développement se fera plus au fil de sa pensée souvent riche mais peu rigoureuse.
Il peut soulever de nombreuses questions et s’orienter vers des écrits hors-sujets.
Il fait émerger des problèmes, cherche à les résoudre ; hypothèses et solutions.
Il a une culture souple et il aime les liens inédits. Il aime faire participer son imagination.
Ce couple de projets de sens est plus tourné vers les actes.
Couple avec les choses/auprès des êtres :
Avec les choses : le sujet s’intéresse prioritairement à l’objet de perception, son rapport avec autrui n’est possible que par la médiation avec l’objet. Il ne ressent pas le besoin d’être accompagné ou aidé.
Auprès des êtres : le sujet s’intéresse d’abord à l’enseignement. Il ne peut entrer en contact avec l’objet que par l’intermédiaire de l’enseignant. Il associe la matière à l’être. Sa sensibilité à la personne peut provoquer des blocages lorsqu’il n’aime pas l’enseignant. Il a besoin d’être accompagné ou aidé.